2 days ago
Pistes cyclables contre égouts
Des résidants de Saint-Léonard, à Montréal, ont subi des inondations à la suite des pluies torrentielles du 13 juillet dernier.
En début de semaine, Montréal a été frappé par des pluies diluviennes. Des résidants qui avaient subi des inondations causées par des pluies torrentielles il y a un an ont vu leurs sous-sols inondés de nouveau.
C'est mon idée de l'enfer : t'as les pieds dans l'eau à sortir le mobilier, en tentant d'appeler ta compagnie d'assurances (qui te dira que t'es pas ou peu assuré).
Mon idée de l'enfer, bis : me retaper ce calvaire l'année suivante !
Je n'ai qu'une chose à dire à ces gens inondés : vous avez toute ma sympathie. Je n'ai pas de message particulier, je n'ai pas de point de vue sur la pertinence ou pas d'avoir un sous-sol aménagé quand notre maison est bâtie dans une « zone de cuvette 1 », expression que je ne connaissais pas avant l'an dernier.
Juste ça : je sympathise. J'ose pas imaginer le tourment qui vous prend aux tripes depuis l'inondation de dimanche…
Pour la suite, collectivement, j'ai bien peur qu'il n'y ait pas de solution totalement étanche (désolé, j'essaie de détendre l'atmosphère) à ces inondations causées par des pluies de plus en plus violentes, une plaie de l'époque qui se réchauffe.
Comme tout le monde, quand ces inondations ont commencé à se faire plus fréquentes, j'ai pensé que construire des égouts plus volumineux serait la solution pour évacuer les pluies du XXIe siècle…
Mais, comme tout le monde, je ne suis pas un expert de ces choses-là, et les experts de ces choses-là, eux, par exemple Jean-Luc Martel de l'École de technologie supérieure, le disent : c'est impraticable.
Je cite le professeur Martel, expert en hydrologie urbaine 2 : « Si on voulait que l'égout évacue toute cette eau [des pluies diluviennes de dimanche dernier], on aurait des égouts qui seraient tellement gros, ça serait tellement dispendieux, ça prendrait l'entièreté des sous-sols des rues, ça n'aurait aucun sens. On ne peut pas se permettre de telles infrastructures. »
Il n'est pas le seul expert à faire métier d'étudier l'eau en milieu urbain à nous dire : Oubliez ça, le problème des inondations consécutives à de fortes pluies ne passe pas par les égouts…
Ils disent à peu près tous ça.
Alors, on fait quoi ? Il y a un ensemble de solutions qui ne sont absolument pas sexy, je parle d'aménagement de parcs éponges (pour « avaler » l'eau) et de déminéralisation (un autre mot inconnu jusqu'à tout récemment – en enlevant de l'asphalte et du béton), notamment. La Presse avait des textes intéressants à cet égard 3, la semaine dernière 4.
La solution n'est pas dans des égouts plus larges, donc. Ça n'a pas empêché Soraya Martinez Ferrada, candidate à la mairie du parti Ensemble Montréal, de nous faire croire que la solution, justement, passerait par les égouts.
PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE
Soraya Martinez Ferrada, candidate à la mairie du parti Ensemble Montréal
Je la cite, dans son point de presse à Saint-Léonard, un quartier particulièrement vulnérable aux inondations post-pluies : « Entre vous et moi, il serait temps de faire une petite pause avec les pistes cyclables et d'investir dans les égouts. » Ah, ce serait l'fun si c'était si simple…
Si, pour éviter des inondations après des pluies de plus en plus sévères, si, pour éviter le calvaire d'un sous-sol inondé à des centaines de nos concitoyens, il s'agissait simplement de mettre plus d'argent dans les égouts de Montréal plutôt que dans les pistes cyclables…
Sauf que c'est une fausseté de dire ça. Si Mme Martinez Ferrada connaît un expert qui gagne sa vie dans une de nos universités qui croit qu'« investir dans les égouts » est une solution magique pour éviter des inondations comme celles qui ont affligé nos concitoyens il y a une semaine, qu'elle nous dise son nom. Je serais curieux de l'entendre et de lire ses recherches.
Surtout que Montréal investit dans les infrastructures souterraines. Noovo rapportait la semaine dernière que la Ville va consacrer d'ici 2033 plus de 6,1 milliards aux égouts et autres conduites d'eau sous terre…
Les pistes cyclables, d'ici 2033 ?
Trois cents millions de dollars.
Bref, la Ville de Montréal dépense 20 fois plus en infrastructures d'eau qu'en pistes cyclables. C'est ridicule de mettre égouts et pistes cyclables en opposition, comme si c'était un combat de MMA.
Mais on comprend le procédé : il y a cette perception que les pistes cyclables monopolisent le budget de la Ville, que les pistes cyclables prennent « trop » de place, alors qu'elles ne représentent qu'un pourcentage minime de l'espace réservé aux voitures…
Et Mme Martinez Ferrada surfe sur cette perception. Sur cette fausseté.
J'aimerais juste dire à Mme Martinez Ferrada que cette guéguerre contre les pistes cyclables est non seulement lassante, mais dangereuse.
Moins de pistes cyclables, c'est plus d'interactions vélos-autos ou camions. C'est plus dangereux pour les cyclistes, qui sont de plus en plus nombreux dans cette ville.
Je pédale, mon épouse pédale, mon fils pédale, mes voisins pédalent. Et on conduit tous, aussi, des chars. Personne n'est en guerre contre le char. Quand je prends le BIXI pour aller au marché Jean-Talon, c'est un char de moins sur la route, un char de moins dans le bouchon. Et si je roule sur un couloir protégé et que j'évite ainsi l'hôpital, ben, tout le monde est gagnant.
Alors, je vais être aussi démago que vous sur les égouts, Mme Martinez Ferrada : si vous souhaitez que plus de cyclistes soient tués ou blessés au nom de la fausseté que le problème des inondations va se régler avec « plus » d'égouts, dites-le donc carrément, parce que le résultat net d'une « petite pause » dans la construction de pistes cyclables, ce sera exactement ça.
1. Lisez l'éditorial de Stéphanie Grammond : « Se sortir la tête de la cuvette »
2. Lisez l'article du 24 heures : « Pluies diluviennes : est-ce que les égouts de Montréal sont suffisamment efficaces ? »
3. Lisez l'article de La Presse : « Les parcs éponges, comment ça marche ? »
4. Lisez l'article de La Presse : « Montréal doit devenir une ville éponge »
5. Lisez l'article de Noovo : « Inondations à Montréal : 'une petite pause avec les pistes cyclables' pour investir dans les égouts ? »